Par Gabriel Gaspard
Publié le 10/02/2022 à 15:15

Après un demi‑siècle de politiques inabouties et le livre choc « Les fossoyeurs » (Fayard), l’État doit remettre les Ehpad dans son giron avec des financements citoyens via un livret réglementé et un label argenté, explique Gabriel Gaspard, chef d’entreprise à la retraite et docteur en informatique des organisations.

Ne saurions‑nous offrir une bonne qualité de vie à nos aînés, une vie où ils se sentiraient dignes et respectés jusqu’au dernier souffle ? Que proposent les candidats à la présidentielle ? Accroître la présence du personnel médical en dotant chaque établissement d’un médecin coordonnateur et en assurant la présence d’au moins un infirmier 24 heures sur 24 ; mieux rémunérer le personnel, créer de nouvelles places dans les maisons de retraite, plus de contrôle, l’instauration d’un service public spécialisé, etc. Beaucoup de paroles mais aucune solution chiffrée.

La dernière annonce du Premier ministre le 23 septembre 2021 : « plus de 400 millions d’euros » de nouveaux financements dans le cadre du budget de la sécurité sociale pour 2022, avec un objectif de créer 2 000 emplois par an. Ce coup de pouce, qui peut « monter progressivement en charge, pour atteindre environ 1,3 milliard d’euros en 2025 », signe la mort de la loi « grand âge et autonomie » maintes fois reportée à cause d’un manque de budget de budget.

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Avec un tiers de la population âgé de plus de 60 ans en 2060 selon l’Insee, « la dépense publique en faveur des personnes dépendantes augmenterait très fortement d’ici à 2060 pour atteindre 2,07 points de PIB, et la dépense totale doublerait presque à 2,78 points de PIB » (Drees). Malgré toutes les réformes telles que la création des Agences régionales de santé (ARS) en 2010 ou la loi du 28 décembre 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement, la France reste toujours en état de procrastination. Les gouvernements et la société civile doivent, pour des raisons démographiques, se donner la main pour investir immédiatement. Mais comment faire alors que l’État n’arrive pas à créer des budgets recevables s depuis 50 ans ?

« Plusieurs options sont sur la table de l’exécutif pour financer la prise en charge du grand âge et de la perte d’autonomie. Aucune ne peut compenser le retard de la France. »

Travailler plus longtemps pour que le fruit de ce travail finance la prise en charge de la perte d’autonomie. C’est l’une des pistes toujours envisagées par le gouvernement pour alléger la facture des personnes dépendantes. Âge de départ à la retraite, hausse de la durée de cotisation, nouvelles journées de solidarité… plusieurs options sont sur la table de l’exécutif pour financer la prise en charge du grand âge et de la perte d’autonomie. Aucune ne peut compenser le retard de la France : « Les dépenses publiques qui regroupent les dépenses de la perte d’autonomie des personnes âgées sont de 1,7 % du PIB en France. Par rapport aux Pays‑Bas (3,7 %), à la Suède (3,2 %) et au Danemark (2,5 %) ».

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Pour le handicap, le budget est encore bien loin du compte. La nouvelle branche autonomie, gérée par la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie], va consacrer, pour 2022, uniquement 34,2 milliards d’euros à l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. En Belgique, 6 500 adultes et 1 500 enfants handicapés français sont hébergés dans des établissements spécialisés. Les annonces du président, le 11 février 2020, pour le recrutement de 11 500 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et la création de 1 000 places supplémentaires vont dans le bon sens mais restent largement insuffisantes. Les congés aidants ne sont pas là pour pallier le manque du budget de l’État.

Quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022, la ministre déléguée chargée de l’Autonomie propose une nouvelle solution qui serait de maintenir les personnes âgées chez elles. « Vieillir chez soi doit devenir la norme », nous explique la ministre. Ce qui veut dire, moins de personnes dans les Ehpad et plus de séniors à la charge des familles. La Cour des comptes a cependant estimé que l’offre des soins à domicile en France restait très inférieure à celle proposée par les Ehpad.

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Les entreprises seront-elles mises à contribution ? Le gouvernement joue le pourrissement de la situation pour pousser les entreprises à réagir. Ne rien faire, c’est pousser les proches à s’occuper de leurs aînés. Une majorité des proches sont des actifs et une grande partie de ses actifs a déjà aménagé ses horaires pour pouvoir aider leurs parents. Un salarié sur cinq du secteur privé est un aidant, mais seulement 21 % estiment être accompagnés par leurs entreprises. La dépendance n’est pas aujourd’hui une préoccupation prioritaire des entreprises. Une loi sur le grand âge et l’autonomie ne peut pas attendre la bonne volonté des entreprises privées.

« Le principe est simple : des Ehpad à taille humaine, des chambres spacieuses et non des chambres d’hôpital, public ou privé mais à but non lucratif. »

Grand âge, autonomie et budget : il faut investir plus de 40 milliards d’euros par an par les institutions associatives, les communes et les établissements de formation, pour le financement :

– De la dépendance par la création d’habitats à but non lucratif partagés, sécurisés avec accompagnement. C’est un type d’habitat entre les résidences pour personnes âgées autonomes et les Ehpad intégrant des microcrèches et des services de soins infirmiers ;

– De la dépendance par la création des maisons de répit médicalisées à but non lucratif ;

– Des Ehpad spécialisés à but non lucratif ;

– Du handicap et la création d’établissements spécialisés à but non lucratif et d’embauches d’accompagnants (35 000 selon le Collectif citoyen handicap) ;

– De la création de 300 000 emplois d’ici 2030 : aides‑soignants, auxiliaires de vie, infirmiers, assistants de soins en gérontologie, des kinés, des psychologues, des animateurs sportifs et de loisirs, etc. ;

– De la création d’un million d’aidants professionnels sur dix ans : « Aujourd’hui, 8,3 millions de personnes de 16 ans ou plus occupent la fonction de proche aidant : 4,3 millions auprès de personnes âgées de 60 ans ou plus vivant à domicile (dont 3,4 millions pour des actes de la vie quotidienne) et 4 millions auprès de personnes âgées de moins de 60 ans. »

Le principe est simple : des Ehpad à taille humaine, des chambres spacieuses et non des chambres d’hôpital, public ou privé mais à but non lucratif ; un contrôle très strict de l’État avec des statistiques par Ehpad sur le nombre de dépendants, le nombre de décès, le nombre d’hospitalisation, le nombre… L’État doit créer un label argenté et un site actif qui permettra aux familles de comparer et de choisir.

« La personne âgée doit rester un citoyen jusqu’au bout. Conserver le droit d’être une personne, conserver le droit au respect. »

D’où vient l’argent ? Bien rémunéré au taux de l’inflation, le financement peut venir des retours des placements des Français à l’étranger et en Europe plus rentables aujourd’hui que nos livrets A, LDDS, LEP ou des placements à risques proposés par les banques privées, et principalement du surplus des épargnes des ménages accumulé pendant la pandémie. Ce serait la création du livret argenté.

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Pourquoi ça ne coûte rien ? Les ménages peuvent facilement prêter à l’État 40 milliards d’euros par an dans un cadre d’une épargne réglementée. Dans cette approche, il n’y a ni emprunt via les banques commerciales ni création monétaire ni augmentation de la dette publique. En se référant à l’étude de l’OFCE [Observatoire français des conjonctures économiques], au vu de la crise actuelle et des taux d’intérêt, les investissements auront un effet de création de richesse estimée à un multiplicateur de 2 avec 60 centimes rendus à l’État pour chaque euro investi.

La personne âgée doit rester un citoyen jusqu’au bout. Conserver le droit d’être une personne, conserver le droit au respect, conserver le droit à l’écoute, conserver le droit à la qualité de vie et aux soins nécessaires…

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