
Depuis 1975, le système social redistributif à la française est bel et bien en panne. La richesse des plus riches n’a cessé d’augmenter. Gabriel Gaspard, chef d’entreprise à la retraite, docteur en informatique des organisations et spécialiste en économie financière, explique comment l’action de la Banque centrale européenne et de l’État alimente la Bourse, qui favorise surtout les plus aisés.
En France, l’impôt et les prestations sociales ne jouent plus leurs rôles de « redistribution ». D’après l’Insee, de 1975 à 2016, la France a subi quarante ans de hausse des inégalités de niveau de vie et de diminution de la redistribution. Les réformes des prestations et prélèvements mises en œuvre en 2017 ont eu un impact quasi-nul sur les inégalités.
Les Français portent un regard plus sombre que par le passé sur l’évolution de leur niveau de vie. En 1979, 46 % d’entre eux disaient qu’il s’était amélioré depuis une dizaine d’années. Ils ne sont plus que 24 % en 2019. Dans un contexte meurtri et dominé par le terrorisme, par la crise du Covid‑19 et les crises climatiques et environnementales, les inégalités des niveaux de vie continuent donc d’augmenter.
La Bourse et les riches
De son côté, la fortune des milliardaires atteint des records. En 2020, avec la récession, le PIB a reculé de 8,3 % mais la fortune des plus riches a progressé de 30 %. Les 500 familles les plus riches possèdent aujourd’hui 1 000 milliards d’euros. Leur fortune était de 81 milliards d’euros en 1996. La France possède en Europe le record du nombre de milliardaires, soit 354 personnes. Cet accroissement de richesse est dû en grande partie à la Bourse qui ne finance plus l’économie mais pas seulement. La Banque centrale européenne (BCE) aide les super-riches dans leurs distributions de dividendes. L’État emprunte excessivement et favorise le développement de la masse monétaire. « Tout cela est rendu possible à cause de l’argent gratuit qui coule à flots en raison de la politique monétaire très accommodante de la BCE. »
Les indices boursiers sont largement déconnectés des économies. La Bourse finance les super-riches et non plus les petites et moyennes entreprises. C’est ce qu’écrit l’économiste Catherine Lubochinsky dans une note pour l’Institut Messine : « Il apparaît clairement aujourd’hui qu’une des raisons de la perte de substance des Bourses est la modification du « parcours fonds propres » que font les entreprises, entrant plus tard (mais aussi plus grosses, et plus solides) sur le marché, après un détour plus ou moins long par le private equity (capital-investissement). »
Aujourd’hui, la France compte environ 650 entreprises cotées, contre un millier en 2007-2008 avant la crise financière. La raison ? Les faillites, les fusions-acquisitions et le choix de se financer hors marché. Les super-riches ont toujours utilisé la technique bien connue qui consiste à placer beaucoup sur des marchés boursiers en panne (comme de mars à mai 2020) pour revendre les actions à la reprise de l’activité et préserver leur capital.
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La crise de la pandémie de Covid-19 ne fait pas exception. Ces super-riches ont besoin d’investir, par exemple avec la dette souveraine de la France – mais les obligations d’État rapportent très peu. Il faut aussi compter avec les investissements à long terme dans l’immobilier. On se retrouve donc avec une forte injection de liquidités dans l’immobilier en dehors des grands centres urbains, ce qui fait ainsi augmenter les prix artificiellement et empêche les locaux de se loger. Il reste les actions étrangères, qui sont aujourd’hui plus lucratives : 78 % du chiffre d’affaires des sociétés du CAC 40 serait réalisé à l’international, comme aux États-Unis qui vient de voter un gigantesque plan de relance.
Robinet à liquidités
La Bourse innove pour les super-riches. Les milliardaires, appelés en France les « investisseurs professionnels », font de la magie en Bourse avec des rendements très attrayants. Au temps du Covid-19 et de l’argent facile, cette magie s’appelle un « Spac ». Un Spac est une coquille vide qui demande aux investisseurs des « chèques en blanc » en attendant de trouver une belle pépite avec un grand potentiel. Dans ce cas, elle fusionne avec la société achetée et reprend son nom. Tout cela est rendu possible à cause de l’argent gratuit qui coule à flots en raison de la politique monétaire très accommodante de la BCE. « L’État emprunte massivement et fait grimper la Bourse. Avec la crise du Covid-19, la France, par son endettement extérieur, a injecté beaucoup d’argent dans les marchés financiers. »