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Par Gabriel Gaspard

Publié le 30 janvier 2021 à 15:00

On peut se demander si le recours à l’endettement public est toujours nécessaire à notre économie pour croître. Un endettement excessif risque d’entraîner une crise additionnelle à la crise de la Covid-19. Avec les limites juridiques et les limites de financement de la France par l’Union européenne, une fois sortis de la crise actuelle, il faudra créer et maintenir une croissance forte, sans augmenter l’endettement public ni la masse monétaire.


Pour liquider la dette crée par la crise de la Covid-19, le Ministre de l’Économie et des finances propose un remboursement sur 20 ans : « ça se fera par un seul moyen : la croissance« [1]. Cette restructuration en « douceur » de la dette publique de la France permet d’adoucir les politiques budgétaires restrictives mais elle est très coûteuse en termes de croissance et d’emploi. « Le public se révolterait contre une nouvelle cure d’austérité ou une hausse des taxes si les gouvernements cherchaient à revenir trop rapidement à des niveaux de dette et de déficit antérieurs à la pandémie » pense Laurence Boone cheffe économiste de l’institution internationale OCDE. Le spécialiste des finances publiques François Ecalle[2] explique très clairement qu’il sera très compliqué de redresser les comptes malgré une croissance moyenne annuelle possible à 1,4%, même si les taux restent bas. La solution magique serait l’annulation par la Banque Centrale Européenne BCE des dettes publiques de l’UE, dont elle dispose, afin de permettre de réemprunter pour financer la croissance. Cette solution n’est pas possible.

1) Les limites de la politique monétaire de la BCE.

La BCE ne peut pas financer le déficit public en créditant du montant de ce déficit le compte que l’État de la zone euro détient dans ses livres. Cette pratique est interdite depuis la création de la zone euro.

La BCE ne crée pas de monnaies. Ce sont essentiellement les banques commerciales, celles qui sont habilitées à la fois à faire des crédits et à recevoir des dépôts, qui créent de la monnaie. Un des rôles de la BCE est de permettre le bon fonctionnement du marché interbancaire, notamment en fournissant aux banques les liquidités dont elles ont besoin pour effectuer leurs paiements sur ce marché.

La dette détenue par la BCE ne peut pas être annulée.La première raison est légale. Les traités européens excluent le financement monétaire des déficits publics. Dans le cas d’une annulation des titres des dettes publiques , il y a abandon d’actifs qui vont affecter les capitaux propres et obliger la BCE à opérer une recapitalisation. Le coût seraréparti entre les Banques Centrales Nationales BCN en fonction de leur participation au capital de la BCE. Cette répartition est très difficile à faire valider compte tenu des statuts de la BCE et du règlement 1009/2000 du conseil du 8 mai 2000 qui stipule : « La BCE est par conséquent dotée d’un capital initial s’élevant à 5 milliards d’euros. En cas de besoin, ce montant peut être augmenté par décision du conseil des gouverneurs, dans les limites définies par un acte du Conseil à savoir cinq milliards d’euros« . A titre d’information la BCE, avec un capital d’environ 7,7 Md€[3], détient aujourd’hui 417 Md€ de dettes françaises. Pour compenser cette perte d’actifs, la BCE peut accroitre les bénéfices non distribués aux actionnaires qui sont les BCN détenus à 100% par les États membres. Par contre, cette approche n’est pas faisable vu les bénéfices générés par la BCE (2,366 Md€ en 2019).

L’annulation des titres par la BCE n’annule pas la masse monétaire ainsi créée. En effet, à l’origine des titres il y a eu des emprunts d’États via des banques commerciales, création de monnaie, injection de liquidités par la BCE et reprise de la même liquidité lors de l’achat des mêmes titres par la BCE. Si la masse monétaire devient trop importante alors de l’inflation est créée. La monnaie perd donc de sa valeur face aux autres devises. L’inflation entraîne une perte de pouvoir d’achats des ménages et adieu la croissance voulue par le Ministre de l’Économie et des Finances. Si l’euro perd sa valeur face aux autres devises, il y a un grand risque de défaillance des investisseurs donc un rachat par la BCE des titres correspondants ; ce n’est pas le but recherché.

2) Il faut limiter l’endettement public.

Le gouvernement a pris un grand risque sur un remboursement de la dette de la Covid-19 sur 20 ans par la croissance sans plan d’investissement durable. En 2020 la crise de la Covid-19 montre que le taux de l’endettement publique (-0,651 sur 1 mois et 0,5631 sur 50 ans) [4] est supérieur à la croissance du PIB [5] (-9%). »Si le taux d’intérêt de la dette redevient supérieur au taux de croissance du PIB, en permanence ou en moyenne sur plusieurs années compte-tenu de nouveaux chocs, il faudra dégager un excédent primaire beaucoup plus important qu’avant la crise actuelle pour stabiliser la dette, ce qui pourrait être très difficile », explique François Ecalle[6].

Les prévisions de la Banque de France sont encourageantes. La croissance du PIB pour 2020 et 2021 serait de 5% et de 2% en 2023. Concernant les taux directeurs de la BCE, les conditions de financement devraient rester très favorables. Les taux d’intérêt ne devraient augmenter que modérément par rapport à leurs niveaux actuels extrêmement faibles[7]. On ne peut pas exclure qu’à partir de 2023 le retour à une situation où le taux apparent de la dette publique devient supérieur au taux de croissance du PIB, même hors pandémie ou choc extérieur.

L’État a besoin en 2021 de 282,3 Md€ de liquidités pour boucler son budget tout en remboursant les anciennes dettes arrivant à échéance en 2021. D’après le même ministère, ce besoin de financement sera couvert par l’émission de titres d’État à moyen et long terme à hauteur de 260 Md€[8]. La sortie de la pandémie, avec la vaccination de plus de 60% des français, ne se fera pas avant fin 2021. La France devra emprunter encore et encore. On peut estimer sur la période 2021-2022 que l’Etat aura besoin de plus de 400 Md€ pour équilibrer son budget.

Plus la France emprunte sur les marchés financiers via des banques privées plus il y a création de monnaies. Plus il y a d’argent circulant dans l’économie et plus il y a d’argent disponible pour investir dans des actions. Ce corolairerend également les instruments d’investissement alternatifs, tels que les obligations, moins attractifs. Ainsi, la possibilité de l’État à emprunter à long terme est réduite[9] Si la masse monétaire devient trop importante, cela crée de l’inflation et la monnaie perd donc de sa valeur face aux autres devises[10].

En cas d’inflation la BCE devrait remonter ses taux et verser des intérêts sur ces réserves, la méthode habituelle est d’utiliser le rendement de son portefeuille. Mais aujourd’hui la plus grande partie de ses réserves sont des obligations publiques (des actifs d’une valeur incertaine). Les taux des crédits immobiliers vont subir aussi une hausse (l’évolution du taux directeur de la BCE influence de façon directe l’évolution des taux de crédit immobilier)[11]. Lorsqu’on hausse les taux immobiliers, le but est de refroidir le marché. A long terme l’effet sur l’économie sera négatif. De même avec une inflation importante, il y a une perte de pouvoir d’achat des ménages et adieu la croissance voulue par le Ministre de l’Economie et des Finances[12].

Si l’inflation grimpe, le rôle de la BCE est de contenir cette inflation dans l’ensemble de la zone euro à des niveaux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme. Le PIB réel est la valeur du PIB tenant compte des variations de prix, c’est-à-dire de l’inflation. Pour la France les prévisions de la croissance potentielle et durable du PIB à partir de 2023 seront entre 0,6% et 1,4% alors que le taux d’endettement approchera les 2%. Il n’est pas donc exclu que d’ici 2040 le taux apparent de la dette publique redevienne supérieur au taux de croissance du PIB, comme en 2020. Il serait alors très difficile à l’Etat de stabiliser sa dette.

3) Il faut limiter la distribution des dividendes.

L’augmentation de la monnaie fait grimper la bourse. « La crise n’a pas empêché les ménages les plus aisés de continuer de s’enrichir, notamment ceux détenant un patrimoine financier et qui ont bénéficié du dynamisme des marchés boursiers, abreuvés de liquidités par les banques centrales » constate Laurence Boone cheffe économiste de l’institution internationale OCDE. Les banques et les grandes entreprises du CAC-40 doivent rester suffisamment fortes pour continuer à prêter et ne pas licencier pendant le ralentissement provoqué par la pandémie. Pour cela la BCE doit limiter à 15% les paiements des actionnaires des banques européennes, tout en empêchant ces mêmes banques de racheter leurs propres actions jusqu’à fin 2022. De même le Ministère de l’Economie et des finances doit imposer la même mesure aux grandes entreprises françaises. Avec l’enrichissement de la Bourse et les aides de l’État, il faut une modération sur la distribution des dividendes afin de soutenir la croissance (les grandes entreprises augmentent leur distribution de dividendes au détriment de l’investissement).

4) Favoriser les investissements écosociaux de l’ÉTAT par des fonds citoyens.

6 000 Md€ pour transformer l’économie. Il faut partir de la devise de la France : « Liberté, Égalité, Fraternité » et d’un concept économique simple : l’argent ne manque pas mais il est mal réparti. Ce n’est pas le travail qui fait défaut, personne n’est inemployable et il faut vivre et produire au rythme de la nature.

L’ensemble de l’argent épargné par les français avoisine les 6 000 Md€[13]. Cette somme, loin d’être négligeable, est mal utilisée. En moyenne les français parviennent à épargner un peu moins de 15% de leur revenu. La hausse de l’épargne des ménages est bien supérieure aux taux de la croissance économique et de l’inflation en 2019. Des 6 000 Md€ environ 30% sont des dépôts bancaires dont 15% non rémunérés. Les autres 15% sont des épargnes réglementées (Livret A, Livret Développement durable et solidaire LDDS, PEL, etc…)[14] mal rémunérés par rapport à l’inflation. L’épargne forcée des français pendant le confinement pourrait dépasser les 130 Md€[15]. Que faire de cette épargne providentielle et d’une grande partie de l’épargne des français comme le PEL qui ne sert aujourd’hui qu’à la solvabilité des banques (Rigidité à court terme, pas de rentabilité à long terme, taux crédit marché plus compétitif pour les prêts immobiliers, bloqué 4 ans) ? De même, les placements financiers non réglementés proposés par les banques pour soutenir les PME-PMI, développer la finance verte ou épargner pour sa retraite sont non sécurisés, mal adaptés, mal récompensés et non performants.

La solution à adopter est l’utilisation des économies des ménages dans un cadre réglementé. Les économies seront gérées par des établissements de crédits publics paritaires et spécialisés, financés au taux directeur de la BCE. Ce mécanisme de financement permet de rémunérer au taux de l’inflation les placements des ménages. Ces économies seront consacrées à la réalisation d’objectifs économiques et sociaux dans un cadre plus résilient et vers une réelle transition écologique et sociale.

Ces investissements citoyens, comme tout investissement public, auront un très fort effet d’élan sur l’économie. L’OFCE, dans son étude investissement public, Capital public et croissance, coordonnée par Xavier Ragot et Francesco Saraceno, explique : « À court terme, il est possible d’estimer le gain d’activité engendré pour chaque euro d’investissement public. La hausse du PIB par euro public dépensé est appelée multiplicateur budgétaire. Les études trouvent des multiplicateurs des dépenses publiques sur le PIB de 0,8 avec une grande variabilité des résultats. En période de crise et, en particulier lorsque la politique monétaire atteint la borne zéro des taux d’intérêt, alors le multiplicateur augmente et atteint des valeurs plus élevées comprises entre 1,3 et 2,5…Notons enfin que dans une économie comme la France, caractérisée par une pression fiscale proche de 50%, un multiplicateur supérieur à 2 signifie que la mesure est quasi-autofinancée. Dans une telle configuration, la politique de relance doit être impérativement adoptée. »

Dans la période de crise actuelle et vu les taux d’intérêts, en se référant à cette étude, les investissements auront un effet de création de richesse estimée entre 2 et 60 centimes rendus à l’État pour chaque euro investi. Ce qui donne, pour un investissement de 1 00 Md€ sur un an, une nouvelle richesse de 200 Md€ et 60 Md€ d’entrées dans les caisses de l’État.

Prenons l’exemple sur l’investissement climat. D’après I4CE, au total, l’ensemble des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat aboutit à des dépenses pour l’Etat en augmentation de 6 Md€ par an à court terme[16]. Cette somme est très faible à comparer aux 18 Md€ d’aides publiques qui financent chaque année la destruction du climat et de l’environnement[17]. L’écart entre le financement actuel pour le climat et les besoins est immense. Il faut 50 Md€ par an en 2019-2023 et 70 Md€ par an en 2024-2028 pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050[18]. La France peut faire beaucoup mieux immédiatement en sollicitant les épargnes des ménages au lieu d’emprunter via des banques privées commerciales.

Il est choquant que l’État soit contraint de payer des intérêts aux banques privées. Si l’État veut emprunter 70 Md€ aujourd’hui, il doit les emprunter sur les marchés financiers. Compte tenu des taux négatifs la France a besoin d’emprunter sur une période de 30 ans pour les grandes émissions d’obligations pour attirer les investisseurs. Si la France emprunte sur 30 ans à un taux d’intérêt fixe de 0,3990 (23/12/2020), elle doit payer en charges d’intérêts 8,4 Md€ sur la période[19]. Pour les 70 Md€ d’investissement l’Etat va récupérer en recette 42 Md€.

Prenons un investissement citoyen de 70 Md€ avec le même type d’emprunts sur 30 ans et une rémunération du fonds au taux de l’inflation (1,1%)[20]. Le montant à emprunter via les établissements de crédit publics au taux directeur de la BCE de 0,05% [21] sera de 23,1 Md€ avec un coût d’emprunt total de 1,05 Md€. Les 23,1 Md€ seront injectés en plus dans l’économie. D’où une réduction des charges d’intérêt de 6,99 Md€ avec une nouvelle recette pour l’Etat de 55,86 Md€. Il faut ajouter la création d’un million d’emplois par an.

Un milliard d’euros investi par an créerait 20 000 emplois. Le coprésident Jean David Chamboredon de l’association France Digitale souligne « que le coût de création d’un emploi en start-up supporté par le capital privé, contrairement à ceux conclus grâce à des fonds publics comme le CICE…Il suffirait de 50 000 euros pour créer un emploi pérenne, en CDI, dans une jeune pousse française« [22]. Avec 70 Md€, c’est une création de 1 400 000 emplois par an. C’est loin des 160 000 emplois objectif du Premier ministre en 2021 avec le plan de relance de 100 Md€ [23]


[1] https://www.bfmtv.com/economie/bruno-le-maire-le-remboursement-de-la-dette-se-fera-par-la-croissance-et-pas-par-les-impots_AN-202005250079.html

[2] https://www.lepoint.fr/economie/ces-inquietantes-projections-sur-la-dette-publique-14-10-2020-2396445_28.php

[3] https://www.liberation.fr/checknews/2019/05/13/la-bce-detient-elle-25-de-la-dette-francaise-comme-l-affirme-melenchon_1725255

[4] https://www.aft.gouv.fr/fr/principaux-chiffres-dette#courbe

[5] https://publications.banque-france.fr/projections-macroeconomiques-decembre-2020

[6] https://www.fipeco.fr/fiche/Y-a-t-il-des-limites-%C3%A0-lendettement-public-%3F

[7] https://www.ecb.europa.eu/pub/projections/html/ecb.projections202003_ecbstaff~dfa19e18c4.fr.html#toc2

[8] Les obligations d’État (ou emprunts d’État) sont des titres de créance émis par un État pour financer ses dépenses en empruntant des fonds sur les marchés financiers.

[9] https://finance.zacks.com/relationship-between-money-supply-stock-prices-7764.html#:~:text=Stock%20prices%20tend%20to%20move,such%20as%20bonds%20less%20attractive.

[10] https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/theorie-quantitative-de-la-monnaie/

[11] https://www.meilleurtaux.com/credit-immobilier/notre-analyse-des-taux/evolution-taux-directeur-bce.html

[12] https://www.vie-publique.fr/discours/276683-bruno-le-maire-12102020-budget-2021

[13] https://www.alternatives-economiques.fr/lepargne-un-tresor-inexploite/00094963

[14] https://www.mieuxvivre-votreargent.fr/articles-a-la-une/2020/02/20/epargne-comment-les-menages-francais-placent-ils-leur-argent/

[15] https://argent.boursier.com/epargne/actualites/les-placements-financiers-des-menages-pourraient-depasser-130-milliards-deuros-cette-annee-6270.html

[16] https://www.i4ce.org/convention-citoyenne-une-ambition-climat-rehaussee-un-cout-raisonne/

[17] https://reseauactionclimat.org/subventions-energies-fossiles-2020/

[18] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/combien-la-france-doit-elle-investir-par-an-pour-parvenir-a-la-neutralite-carbone-20191005

[19] https://www.banque-france.fr/statistiques/taux-et-cours/taux-indicatifs-des-bons-du-tresor-et-oat

[20] https://fr.statista.com/statistiques/508737/previsions-taux-evolution-ipch-france/

[21] https://www.ing.lu/content/siteing/fr/particuliers/my-money/categories/borrow/les-taux-directeurs-Banque-Centrale-Europ%C3%A9enne-ma-banque.html

[22] https://francedigitale.org/association/

[23] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/03/plan-de-relance-jean-castex-fixe-l-objectif-de-160-000-emplois-crees-en-2021_6050801_3234.html

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