Depuis 2009, la Banque Centrale Européenne achète massivement des titres de dette publique. Cette politique a fait exploser la taille de son bilan. Le débat en France sur l’annulation de ces dettes publiques prend de l’ampleur. Plusieurs économistes, hauts fonctionnaires et élus politiques donnent des concepts qui se basent sur des nouveaux mécanismes de création monétaire ou des réformes des traités de fonctionnement de l’Union Européenne. Aujourd’hui, il est important pour les français de comprendre les opérations de conduites des banques centrales Européennes. Ils doivent aussi comprendre les effets incertains de cette annulation sur les prix et l’inflation, sur les taux directeurs, sur l’augmentation des impôts et enfin sur les effets de la stabilité sur les marchés financiers et la valeur de l’euro.
Projet de loi de finance pour 2021. D’après le Ministère de l’Economie et des Finances, le besoin prévisionnel de financement de l’État [1] atteindra 282,3 Md€. En 2021, il y aura un déficit budgétaire de 152,8 Md€ [2] et 127,3 Md€ d’amortissement de dette à moyen et long terme[3]. En d’autres termes en 2021, l’État a besoin de 282,3 Md€ de liquidité pour boucler son budget tout en remboursant les anciennes dettes arrivant à échéance. D’après le même ministère, ce besoin de financement sera couvert par l’émission de titres d’État à moyen et long terme à hauteur de 260 Md€ [4].
Pourquoi emprunter sur le marché financier et ne pas « faire marcher la planche à billet » par la Banque de France ? La réponse est simple : l’expression « faire marcher la planche à billets » désigne le fait, pour une banque centrale, de financer le déficit public en créditant le compte que l’ État détient dans ses livres du montant de ce déficit. Cette pratique est interdite depuis la création de la zone euro à la Banque Centrale Européenne BCE et dans toute la zone euro [5]. Normalement, le déficit public est financé par la Banque centrale. Par contre, dans l’Union Européenne, la Banque Centrale Européenne BCE n’a pas le droit d’apporter directement des financements aux besoins de l’État. Elle n’a pas le droit de financer les déficits publics par la création monétaire. Les traités fixent un rôle essentiel à la BCE qui est de surveiller en priorité l’inflation qui ne doit pas dépasser 2%. Monétiser la dette est considéré par les économistes monétaristes comme risquant d’accroitre l’inflation.
Dans ce contexte, l’État français alimente son budget principalement par des emprunts. La dette française est principalement financée par des obligations émises par l’État (Agence France Trésor AFT) [6]. En effet, la dette de la France est composée en majorité d’OAT (Obligations Assimilables du Trésor) d’une durée de 7 à 50 ans. Les OAT sont des titres financiers qui ont en majorité un taux fixe et sont remboursés à leur valeur nominale d’émission à une échéance fixée dès le départ. Sur les sites officiels du gouvernement, on apprend que plus de 50% de la dette publique de la France est détenue par des non-résidents, en d’autres termes des investisseurs étrangers [7]. Il est très difficile de savoir qui sont ces investisseurs étrangers, car l’État Français émet des obligations auprès de banques privées chargées de distribuer les titres sur le marché international et la trace des titres est alors perdue.
Les obligations du trésor sont cotées en bourse secondaire pendant leur durée de vie. La bourse permet d’acheter d’autres obligations françaises déjà en cours de vie ou de revendre d’autres avant leur échéance. C’est le prix de l’obligation qui va décider les acquéreurs. La valeur de l’obligation va fluctuer en fonction du niveau des taux d’intérêt en suivant l’offre et la demande. Plus la durée est longue plus il y a défaillance des investisseurs.
A chaque émission d’une OAT, les banques commerciales créent de la monnaie. A la base du processus de création de cette monnaie il y a un agent économique (ménage, entreprise, etc.). Ici c’est l’État qui souhaite se financer pour soutenir l’activité. Pour ce faire, les banques commerciales vont créditer le compte courant de l’État du montant de l’OAT accordée. Par un simple jeu d’écriture, elles vont ainsi créer de la monnaie. Dans ce cas, « les crédits font les dépôts » puisque le montant du crédit octroyé vient alimenter le compte courant du client de la banque commerciale. C’est grâce à ce processus que le stock de monnaie en circulation croît en liaison avec les besoins de monnaie du système économique. Seules les banques commerciales ont ce pouvoir de création monétaire.
La Banque centrale Européenne BCE ne crée pas de monnaies. Ce sont essentiellement les banques commerciales, celles qui sont habilitées à la fois à faire des crédits et à recevoir des dépôts, qui créent de la monnaie. Un des rôles de la BCE est de permettre le bon fonctionnement du marché interbancaire, notamment en fournissant aux banques les liquidités dont elles ont besoin pour effectuer leurs paiements sur ce marché. De fait, elle crée de « l’intra-monnaie banque centrale » [8] pour la durée requise. Par contre, cette monnaie est exclusivement utilisée pour les paiements entre banques et transite par les comptes que les banques détiennent à la banque centrale. Cette monnaie ne peut donc pas être utilisée directement pour accorder des crédits. Elle ne circule pas dans l’économie et ne vient pas gonfler la masse monétaire. La BCE produit aussi des billets qui sont fournis aux banques pour les mettre à la disposition de leurs clients. Dans ce cas aussi il n’y a pas de création de monnaie car lorsqu’une entreprise ou un particulier retire des billets de sa banque, le montant correspondant est débité sur son compte. Il y a uniquement un simple transfert des dépôts vers les billets, sans que la masse monétaire change.
Le rachat de titres de la dette publique par la Banque centrale européenne peut-il être assimilé à de la création monétaire ? En mars 2015, la BCE, dans le cadre de ses mesures non conventionnelles de politique monétaire « quantitative easing » [9], a commencé à acheter des actifs auprès des banques commerciales. Le but est de stimuler la croissance économique de la zone euro et ramener le taux de croissance à un niveau proche de 2%.
A l’inverse de la Federal Reserve Bank ou FED aux États-Unis et de la Banque d’Angleterre, la BCE n’a pas le droit d’acheter directement des titres de la dette publique sur le marché des émissions primaires (qui peut créer de la monnaie d’une façon indirecte) [10]. La BCE achète les titres obligataires sur le marché secondaire. Pour cela, elle va créer de la liquidité qui va se déverser sur le marché financier au profit des vendeurs de ses titres, dans notre cas les banques commerciales. Il y a 2 cas où les liquidités créées par la BCE peuvent alimenter la masse monétaire. Dans le premier cas, les banques commerciales décident de réinvestir les sommes perçues en acquérant des titres sur le marché primaire (spécialement des obligations d’entreprises de la zone euro). Dans le second cas, les banques décident d’accorder des nouveaux crédits aux agents économiques. Il faut préciser que les banques ont la possibilité de placer leurs excédents de liquidité à concurrence du montant fixé par la BCE et selon une procédure d’appel d’offre. In fine ce sont les banques commerciales en accordant des crédits qui créent de la monnaie (avec des liquidités disponibles d’avance par les banques ou créées par la BCE après l’émission de crédits par les banques commerciales).
[1] Excédent des dépenses sur les recettes réalisées au cours de l’exercice 2021.
[2] Le déficit budgétaire est la situation dans laquelle les recettes de l’État (hors remboursement d’emprunt) sont inférieures à ses dépenses (hors emprunt) au cours d’une année. C’est donc un solde négatif.
[3] https://www.aft.gouv.fr/fr/budget-etat
[4] Les obligations d’État (ou emprunts d’État) sont des titres de créance émis par un État pour financer ses dépenses en empruntant des fonds sur les marchés financiers.
[5] https://www.economie.gouv.fr/facileco/banques-centrales-creation-monetaire
[6] https://www.aft.gouv.fr/index.php/fr/presentation-oat
[7] https://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL8N1HL51Y
[8] Elle représente le montant global des pièces et des billets émis, auquel s’ajoutent les sommes que les banques de « second rang » (banques commerciales) ont placées auprès d’elle au titre des réserves obligatoires
[9] Le « quantitative easing » (QE) ou « assouplissement quantitatif » en français est une mesure de politique monétaire dite non conventionnelle mise en place par une banque centrale lorsque ses outils traditionnels se révèlent insuffisants pour contrer les effets crise de grande ampleur.
[10] http://www.les-finances.com/bourse/marche-primaire-marche-secondaire-en-bourse-quelle-est-la-difference.html