
Publié le 10 janv. 2022 à 16:57Mis à jour le 10 janv. 2022 à 16:59
Le 1er janvier 2022 entre en vigueur l’accord de partenariat économique global régional entre 15 États d’Asie et du Pacifique (RCEP). Que signifie cet accord pour l’Europe ? Quel sera l’impact sur l’Union européenne et sur la zone euro ? (Gabriel Gaspard, directeur d’AGSF Europe BV)
La signature du Partenariat économique régional global le 15 novembre 2020 est sans doute l’accord commercial le plus important au niveau mondial. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2022. Le RCEP est devenu le plus grand bloc de libre-échange dépassant les États-Unis et l’Union européenne. Les 15 signataires représentent en effet 30 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et de 28 % du commerce mondial. Il vise d’après les signataires à éliminer les obstacles au commerce et à promouvoir l’investissement pour aider les économies émergentes à rattraper le reste du monde. Mais quelles sont les conséquences de cet accord pour l’Union européenne ?
L’impact économique.
Le RCEP a été signé par les dix États membres de l’ASEAN (Vietnam, Malaisie, Singapour, Brunei, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Laos, Myanmar, Cambodge) et cinq autres États de l’Asie et du Pacifique : la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Pour l’Europe cet accord de libre-échange concerne particulièrement trois puissances manufacturières : la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Ensemble, les trois pays ont généré 5,3 billions de dollars de valeur ajoutée, soit 1 billion de dollars de plus que les États-Unis et l’UE réunis. Dans la région d’Asie-Pacifique, le PIB devrait croître trois fois plus vite qu’en Europe au cours des 10 prochaines années. Il est certain qu’actuellement l’UE a d’importants accords commerciaux en vigueur avec le Japon, la Corée du Sud et le Vietnam. Toutefois, les exportations vers les autres pays du RCEP ne sont pas couvertes par des accords commerciaux y compris la Chine. L’UE et ASEAN sont devenus partenaires stratégiques en décembre 2020. Sans accords, l’UE est confrontée avec l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande à des droits de douane élevés. La majorité des exportations de l’UE est constituée de machines et des produits manufacturés, annonçant un prochain détournement des échanges .
Le détournement des échanges
Les effets économiques du RCEP vont se sentir progressivement. La baisse des droits de douane dans le RCEP en raison des marges préférentielles accordées entre ses signataires va stimuler les échanges entre ses membres et créera un détournement de trafic de l’Europe vers cette nouvelle zone. Les entreprises européennes disposant d’une filiale asiatique ou ayant des accords avec une chaîne logistique internationale vont bénéficier d’une réduction des coûts . En revanche les produits de l’UE risquent de perdre en compétitivité au fur et à mesure de la suppression des barrières non tarifaires et du détrônement des normes.
Le détrônement des normes européennes
Les exigences d’importation dans l’Union européenne sont reprises dans les directives européennes . Elles ont été mises en place pour « assurer au consommateur une protection au niveau de la santé, de l’environnement et de la sécurité ». Les normes visent à limiter les importations de biens et de services afin de favoriser ou de protéger la production nationale de la concurrence étrangère et ainsi rééquilibrer la balance commerciale. Les règles d’origine européennes sont considérées comme trop complexes en Asie. En plus de rendre l’Europe moins compétitive à l’exportation sur les marchés asiatiques, le RCEP va bientôt élaborer des normes purement asiatiques qui ne seront pas alignées sur les normes européennes. Elles vont donc freiner les ambitions européennes de contrôle sur les nouvelles technologies et des nouveaux accords éthiques.
L’isolement de l’Europe sur les accords commerciaux éthiques
Malgré la valeur des échanges commerciaux, l’accord du RCEP ne contient aucun chapitre sur l’économie durable et les droits des travailleurs. Ce partenariat mettra en cause le processus démocratique et éthique des pratiques commerciales de l’Europe. La libre concurrence sera faussée. L’UE aura-t-elle la possibilité demain de renforcer le contrôle sur la sécurité alimentaire ou la sécurité environnementale (émission du CO2) ?
Les conséquences sur les accords existants
Pour l’UE, les nouveaux accords de libre-échange doivent tenir compte de trois phénomènes structurants : la mondialisation économique, les changements climatiques et le développement d’un marché pour des produits climatiquement neutres. Alors faut-il renégocier tous les accords signés ? Les normes européennes et toutes les directives européennes doivent être intégrées aux nouveaux accords en incluant donc une partie climatique et une partie protection sociale. Pour l’UE c’est un domaine très important. Pourquoi les pays de cette nouvelle zone accepteraient-ils demain les règles européennes en matière de protection sociale et environnementale ?
Le rapprochement des États-Unis et de l’Europe
Dans la bataille commerciale entre les États-Unis et la Chine, c’est un succès diplomatique pour la Chine après le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique. Faut-il inciter l’Europe et les États-Unis à unir leurs forces contre l’influence croissante de la Chine ? Les relations de l’UE avec le Président Biden sont aujourd’hui constructives, mais si Trump est de retour en 2024 ? L’UE doit-elle suivre les leçons de la diplomatie économique habile du Japon qui a conclu des accords commerciaux avec la Chine, les États-Unis et l’UE ?
Les effets sur l’euro et sur le marché obligataire
Le yuan chinois continue de s’apprécier face à l’euro depuis la signature du RCEP. Cette chute de l’euro peut avoir un impact très négatif en période d’inflation sur les importations venant de Chine, sur les trésoreries des entreprises européennes et sur l’émission des obligations. Pour les investisseurs de la zone Asie-Pacifique, l’acquisition de titres obligataires dans la zone euro à rendement faible à court terme leur permet d’espérer réaliser une plus-value à terme ou d’obtenir des rendements positifs… à condition d’anticiper une appréciation de l’euro contre leur monnaie nationale ! Dans le cas d’une baisse prolongée de l’euro ces investisseurs vont-ils déserter le marché obligataire européen ?
Gabriel Gaspard est directeur d’AGSF Europe BV.